Blogueurs sous influence
Elle l'a appelée la "Botox Party". Il y a quelques mois, Sonia, auteur de "Chroniques" beauté lance les invitations à d'autres blogueuses: "Je vous propose de tester à votre convenance l'épilation laser ou, pour les plus téméraires, les injections d'acide hyaluronique". Elle s'occupe, précise-t-elle, "de la mise en relation entre le Centre de médecine esthétique Lazeo et les blogs beauté". Une semaine plus tard, la même Sonia publie sur son blog un reportage sur son opération des lèvres, photos à l'appui, et propose un tchat avec son chirurgien, le patron... du centre esthétique. Excès de zèle ou publicité illégale? "J'ai pris seule cette initiative", affirme Sonia à LEXPRESS.fr - après plusieurs revirements. Le praticien, de son côté, prétend n'être au courant de rien.
Le médecin est pourtant déjà connu d'une deuxième spécialiste de la beauté sur Internet. Capucine Piot, qui tient le blog Babillages, assure avoir été approchée par le fils du docteur. Directeur de la branche "épilation laser" du centre, "il voulait que je m'occupe de sa communication online, raconte-t-elle, il m'a parlé de rentabiliser ses machines, de rameuter du client".
Sonia fait-elle la com' du médecin? s'interroge Capucine Piot. La question enflamme la Toile, au point que Sonia, sévèrement réprimandée par plusieurs fidèles, efface ses billets.
"Les blogueuses sont-elles achetées?", se demandait à son tour au début de l'été une autre star des blogs au féminin, Géraldine Dormoy, de Café Mode - un blog hébergé sur LEXPRESS.fr. Le billet a suscité une pluie de commentaires. Halte à "la pub déguisée" dans le milieu, s'indignent des internautes qui exigent des avis "authentiques". Le débat est relancé à cette rentrée par un article de Rue89 qui se penchent sur liens sulfureux entre blogueuses et univers de la mode. Soirées privées, cadeaux coûteux, prestations gratuites... les entreprises draguent les blogueurs, devenus des références sur Internet - et pas seulement dans l'univers de la mode et de la beauté. Les jeux vidéo et le high-tech, par exemple, sont aussi touchés.
Et les journalistes?
Les blogs, qu'on présente souvent comme une "alternative" au journalisme, jugé complaisant et aseptisé, touchent-ils là les limites de leur indépendance? En partie, estime Narvic, observateur du Net, qui rappelle que le blogueur n'a pas les garde-fous du journaliste: "La moindre information publiée dans la presse, au-delà de la seule signature du rédacteur, est le résultat du travail de nombreux professionnels, qui agissent 'derrière le rideau'". Et le blogueur connaît un handicap supplémentaire: contrairement au journaliste, il n'est pas encore incontournable pour les enterprises. Se fâcher avec une marque, c'est prendre le risque d'être évincé du circuit - et donc de perdre des infos.
L' ex-rédacteur en chef du Post.fr, Benoît Raphaël, est plus cynique. "Ce genre de connivences commerciales n'a rien de nouveau et concerne les journalistes comme les blogueurs. Les premiers sont régis par une charte de bonne conduite, mais n'ont aucune obligation légale de l'appliquer."
"Les blogs sont devenus un enjeu pour les directeurs marketing", analyse Bertrand Quesada, PDG d'Ebuzzing, une société qui les intègre aux plans de communication des entreprises. Termes de l'échange: billets et vidéos "sponsorisés", pour lesquels les blogueurs peuvent être payés. Jusqu'à 700 euros, selon Presse Citron, l'un des rendez-vous high-tech les plus réputés, et une centaine d'euros pour les blogs de jeux vidéo.
Côté blogueurs, chacun fixe donc ses propres règles. "Je publie parfois des billets sponsorisés - mais il faut que le lecteur le sache explicitement, c'est une question de crédibilité, nous explique Antoine de Blogamer. D'ailleurs, ces articles-là ont très peu de commentaires." Et les jeux reçus gratuitement? "Quand c'est vraiment mauvais et que je ne peux qu'en faire une critique négative, je demande à ceux qui me l'ont envoyé s'ils tiennent vraiment à ce que j'en parle." Même volonté de transparence chez Stéphane, blogueur sur Uriel no Sekai. "Je dis toujours si j'ai acheté un jeu ou si on me l'a envoyé. Quand on me propose une campagne, je ne l'accepte que si elle correspond à ma ligne éditoriale. Et j'ai quelques astuces pour ne pas qu'elles prennent trop de place sur le blog, comme dégainer immédiatement un autre article pour que le contenu sponsorisé ne reste pas longtemps en évidence."
Faudra-t-il, pour harmoniser les pratiques et clarifier la situation, en passer par une réglementation officielle? L'initiative du sénateur Masson, qui voulait mettre un terme à l'anonymat des blogueurs, était une première esquisse de mesure législative sur le sujet. Mais elle a provoqué une levée de boucliers. Aux Etats-Unis, la Federal Trade Commission impose désormais aux blogueurs de préciser s'ils ont été rémunérés pour leur travail. En France, le meilleur gendarme est pour l'instant la blogosphère elle-même, toujours prompte à dégainer contre un billet tendancieux et à jeter l'anathème, parfois sans preuve, sur un blogueur "acheté".
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