« Enrichissez-vous ! » extrait du livre " La regente de Carthage"

Peu importe, aux yeux de la classe politique française, que le régime du président Ben Ali ne poursuive plus aucun projet politique construit ou qu'il entretienne une sorte de vide politique abyssal, qui reste le meilleur terreau pour le développement des idées fondamentalistes.
Dans l'atonie des valeurs qui caractérise la Tunisie aujourd'hui, l'argent facile et le luxe ostentatoire qu'incarnent Leila et sa famille sont devenus les seuls modèles de référence. A la façon d'un Guizot s'adressant à la bourgeoisie française sous la monarchie de Juillet : enrichissez-vous ! » La rapidité même de l'enrichissement du clan Trabelsi s'impose à des classes moyennes frustrées et dépossédées, qui s'épuisent dans une course effrénée à la consommation et à l'endettement.
L'été, la jeunesse dorée de Tunis vient s'amuser au Calypso, la boîte préférée du neveu chéri et voleur de yachts, En août 2009, le célèbre DJ David Guetta y faisait vibrer cette belle jeunesse pour un modeste cachet de 35 000 euros…Vodka et Champagne coulent à flots. La table au Calypso, 2 000 places au total, coûte entre 1 500 et 4 000 euros ! Le salaire du moindre serveur dans cet établissement luxueux ne dépasse pas les 200 euros. C'est dans ce lieu de perdition que, il y a quelques années, un frère de Leila, Mourad a failli mourir d'une overdose. Sexe, drogue et… fric.
Le monde des Trabelsi ressemble aussi parfois à celui de Berlusconi, qui a effectué une « visite d'amitié et de travail » à Tunis le 18 août 2009, à l'invitation de Ben Ali. Qui se ressemble s'assemble. Durant l'été 2009 toujours, le ministre des Transports et proche de Leila, Abderrahim Zouari, séjournait en Sardaigne avec une amie, dans un hôtel de la Costa Esmeralda où les amis du Premier ministre italien prennent leurs quartiers d'été. La suite dans ce modeste établissement se loue 2 575 euros la nuitée.
Dans la triste fin de règne qui s'annonce avec la maladie de Ben Ali, Leila Trabelsi et son clan disposent encore de sérieux atouts.
Le premier est l'âge de la présidente, née le 20 juillet 1956. À cinquante-deux ans, Leila est en pleine santé. De plus, elle connaît intimement, depuis 1987, les arcanes du pouvoir et dispose, dans tous les milieux, d'obligés et de mercenaires. La solidarité de sa famille est sans faille. Le clan a amassé un trésor de guerre suffisant pour acheter les hésitants. Certains des Trabelsi, comme le neveu chéri Imed, cultivent des liens avec les voyous qui pourraient intimider les plus récalcitrants. Enfin, Leila a scellé quelques alliances stratégiques par les mariages qu'elle a voulus et organisés.
Autant d'encouragements pour elle, qui compte bien devenir demain, si son mari disparaît brutalement, la régente de Carthage. Si ce scénario se vérifiait, la Tunisie basculerait de la « si douce dictature » de Ben Ali, selon les mots amers du journaliste Taoufik Ben Brik dans une république bananière. Avec le président actuel, formé à l'école du bourguibisme et qui fut militaire, diplomate et ministre, la Tunisie sait encore respecter les formes. De pure façade, le légalisme en vigueur respecte des codes et veille encore à certains équilibres, même si, au plan interne, il harcèle sans retenue ses opposants. Enfin la politique tunisienne tient compte des contraintes externes et cherche à ne pas se fâcher avec ses alliés occidentaux. Autant de précautions qui seraient balayées si les gens de Leila Trabelsi prenaient, demain, définitivement tout le pouvoir à Tunis. Les lois du clan supplanteraient définitivement toutes les autres. Faudra-t-il en venir, un jour, à regretter le « bon temps » du général Ben Ali ?

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